Dans le film Tu manques même à mon ombre, l’artiste peintre et sculpteur Rachid Koraïchi nous embarque dans un voyage sensible et introspectif, entre mémoire familiale, spiritualité soufie et vastes paysages sahariens.
Réalisé par Laurent Boullard et produit par Khalid Djilali, Tu manques même à mon ombre invite à découvrir le monde singulier de cet artiste algérien reconnu internationalement. Le film a été projeté le 28 mai 2025 à la Cinémathèque Algérienne, devant une salle archi comble, en présence d’un public conquis, le tout suivi d’un débat très animé ainsi que d’une séance photo et d’autographes improvisée, témoignant de l’enthousiasme suscité par cette rencontre rare avec l’artiste.
De son exposition à Alger aux confins du Hoggar et du Tassili, en passant par la zaouïa Tidjania, ce film nous donne à voir un créateur profondément attaché à sa terre natale, tout en portant une vision universelle de l’art et de la création.
Un titre empreint d’ombre et de fidélité
Évoquant la portée symbolique du titre Tu manques même à mon ombre, Rachid Koraïchi livre dans un entretien accordé à Dzdia une réflexion poétique sur l’ombre, la fidélité et l’existence :
« Le titre du film fait référence à un élément auquel on ne prête jamais attention : l’ombre. On vit avec, on meurt avec, on l’oublie, parfois on s’en moque. Mais en réalité, elle est le lien le plus sûr, le plus fidèle, le plus essentiel de notre existence. Elle nous suit à chaque instant de notre vie, et même après notre disparition, elle entre avec nous dans la tombe, ne nous quitte jamais. L’ombre est d’une fidélité extraordinaire. C’est cette fidélité, envers la famille, les amis et la terre natale, que je souhaitais mettre en lumière. »
Le Sahara, matière première de la mémoire
Le film débute à Alger, que Rachid Koraïchi surnomme l’écrin, avant de s’enfoncer dans l’immensité du Sahara. Pour l’artiste, cet espace est bien plus qu’un décor : il est un acteur silencieux de l’histoire, un lieu de ressources artistiques et spirituelles.
« Le Sahara est d’abord un espace sans limite, » confie-t-il. « L’éternité, c’est l’absence de temps. Le Sahara, lui, n’a pas de limites, c’est pourquoi il possède sa propre éternité. »
Le désert recèle de matériaux naturels que l’artiste utilise dans ses œuvres : pigments, terres, pierres. Mais ce sont aussi ses couleurs : les rouges profonds, les ocres, les jaunes brûlés, qui nourrissent l’imaginaire de Koraïchi.
Rachid Koraïchi : foi et mystique au cœur de son art
Marqué par l’Islam et plus particulièrement par la tradition soufie, Rachid Koraïchi convoque une symbolique dense dans son travail plastique. Le chiffre 7, lié aux rituels et à la mystique musulmane, y revient fréquemment.
Mais il ne se revendique pas comme guide religieux : « Je ne suis pas un imam de mosquée, je suis simplement un croyant, » explique-t-il. « La spiritualité est une maison où chacun met sa pierre à travers le temps. »
Ses œuvres sont ainsi des passerelles entre les époques, les continents, les croyances. Elles portent les traces de ce qu’il appelle les maîtres invisibles, ces figures spirituelles du passé dont les enseignements résonnent encore aujourd’hui.
Un legs créatif au-delà du temps
Loin de toute revendication nationaliste, Tu manques même à mon ombre révèle l’attachement d’un artiste à ses racines autant qu’à l’humanité dans son ensemble. Rachid Koraïchi souligne avec force que c’est par l’art que l’éternité se prolonge :
« Chaque réalisation appartient à tout le monde. Quand on voit du Picasso, du Matisse, du Renoir ou du Cézanne, leurs créations appartiennent à tous. L’artiste laisse son legs créatif, même quand il n’est plus en vie. Ainsi, l’éternité ne réside pas dans le corps physique mais dans ce qu’il a transmis. »
Quand le film devient exposition en Algérie
Si Rachid Koraïchi expose dans les plus grandes institutions à l’étranger, du Guggenheim de New York à celui d’Abu Dhabi, c’est en Algérie qu’il revient, par ce film, partager une autre dimension de son œuvre.
Conscient des contraintes techniques et logistiques qui l’empêchent d’exposer ses œuvres dans son pays, il a choisi le cinéma comme vecteur pour offrir au public algérien une expérience nouvelle. « Avec ce film, j’ai ramené une autre facette de ma démarche artistique au public algérien. De cette manière, il peut découvrir la profondeur de mon travail, mon attachement aux régions du Hoggar et du Tassili, ainsi que mon engagement pour honorer les héros de notre guerre de libération ailleurs, » raconte-t-il à Dzdia.
Au-delà de la contemplation esthétique, Rachid Koraïchi lance un appel à ses compatriotes :
« J’espère que ce film leur donnera le désir de circuler dans leur pays, d’aller à la rencontre d’autres Algériens. » Un encouragement à renouer avec soi-même, avec les autres, et à redécouvrir la dimension et la richesse de son histoire.
À travers ce parcours filmé entre art contemporain et mémoire spirituelle, Koraïchi propose un récit où chaque lieu visité, de Djanet à Tamanrasset, jusqu’à la zaouïa Tidjania, devient une balise dans son voyage initiatique.