Tombé de rideau de la 7e édition du festival Algé’Rire qui a misé sur une soirée de gala résolument DZ, portée par une douzaine d’artistes qui ont occupé la scène avec audace, finesse et une vraie liberté de ton. Entre punchlines aiguisées, tranches de vie partagées et moments suspendus, le public a découvert un stand-up pluriel, à la fois drôle, frontal et profondément enraciné dans le réel. Une clôture fidèle à l’esprit du festival, généreuse et tournée vers l’émergence de voix qui redessinent les contours de l’humour algérien.

Un podium jeune et prometteur
Fidèle à sa mission d’accompagnement, Algé’Rire avait cette année lancé un casting national pour dénicher la relève du stand-up algérien. Les trois lauréats de cette édition ont ouvert le gala avec fraîcheur et aplomb.
Chaïma, première lauréate, a bluffé le public avec une performance inédite mêlant chant et jeu théâtral. Une hybridité rare dans le stand-up local. Elle incarne un personnage à la fois vulnérable et caustique, dans un numéro d’une grande maturité scénique.
Venu d’un petit village près de Tlemcen, Amine Ben, deuxième du classement, s’est distingué par une écriture incisive et une lecture fine de l’interculturalité algérienne. À seulement 21 ans, il aborde des sujets encore tabous avec intelligence, dressant le portrait d’une jeunesse tiraillée entre héritages et réinventions.
Mokhtar Adnani, originaire d’Oran, complète ce trio gagnant. Son stand-up, ancré dans le quotidien populaire, est porté par une énergie brute et un sens du rythme qui a conquis la salle.
Une scène plurielle et engagée
Le maître de cérémonie, expert dans l’art de chauffer une salle, a donné le ton : un humour inclusif, sans filtre, à l’écoute des ruptures sociales, culturelles et générationnelles. La soirée s’est déroulée en crescendo, chaque passage apportant son lot de surprises.
Adem Kessouri, également d’Oran, revisite les mythes du mariage et de l’amour à la sauce dz. Il convoque les stéréotypes pour mieux les détourner, avec une autodérision qui fait mouche.
Samy, enfant de Hussein Dey, transforme son vécu dans un quartier populaire en matière à sociologie affective. Il jongle avec souvenirs d’école, effets de la gentrification et mutations urbaines, avec un ton à la fois tendre et lucide.
Moment fort également avec Khaled Benaïssa, figure bien connue du Théâtre National Algérien, qui relève ici le défi du stand-up. Son passage, empreint de réflexions politiques et sociales, aborde de front censure, double carrière et contradictions du milieu artistique. Un humour engagé, réfléchi et percutant, qui a électrisé la salle.
Slimane Dris déploie un stand-up trilingue (français, darja, kabyle) jouant des décalages culturels et stéréotypes régionaux. Farès Barket, quant à lui, explore l’enfance et l’amour filial dans un sketch dédié à sa mère solo, mêlant émotion et humour. Il déconstruit avec finesse une masculinité incapable de dire « je t’aime ».
La scène a aussi révélé des voix inattendues mais puissantes. Hichem Jil FM, humoriste non-voyant et animateur radio, redéfinit les contours de la scène par sa seule présence. Il joue de sa situation avec une liberté désarmante, posant un regard neuf sur perception, norme et rire. Pour l’anecdote, il a été repéré à l’improviste, lors du passage des organisateurs à son émission.
Khalifa MBK a surpris par son audace narrative, tandis que Mouaadh Bennacer, rasta chaoui, livre une « crise capillaire » hilarante, entre dreadlocks et traditions. Un prétexte habile pour aborder patriarcat, transmission et conflit intergénérationnel dans sa culture chaouie.
Enfin, Just Inès, lauréate de Mon premier Montreux Afrique 2024, a ponctué la soirée d’un regard féminin sur le monde, encore trop rare sur la scène humoristique algérienne, mais de plus en plus nécessaire.
Une scène en construction, un rire comme boussole
Par son programme de formation, son ancrage territorial et son accompagnement artistique, le festival Algé’Rire contribue à structurer un véritable écosystème de l’humour algérien. Plusieurs artistes évoquent la scène comme une forme de thérapie : on rit pour survivre, pour dire l’indicible, pour inventer d’autres manières d’être algérien. Un rire doux-amer, qui interroge les non-dits familiaux, les fractures sociales, les douleurs intimes, et qui donne des clés pour penser l’Algérie sans l’enfermer.
Au gala de clôture d’Algé’Rire, ce sont les rires francs, les silences émus et les éclats de talent qui l’ont emporté. L’humour dz a encore de beaux jours devant lui. À condition qu’on continue de l’écouter, de le soutenir et de lui faire une vraie place.