48h love chrono
Inspiré d’une histoire réelle, le film interroge les traumas du passé et la façon dont ils façonnent l’Algérie d’aujourd’hui sur fond de kidnapping pris pour un fait divers, et d'un amour inavoué entre les protagonistes. Dans son premier long-métrage Alger, Chakib Taleb-Bendiab nous plonge dans un thriller intense où la capitale n’est pas qu’un décor, mais un personnage à part entière.
Rencontre avec un cinéaste aux multiples talents, lauréat du grand prix au Festival International du Film de Rhodes Island en 2024 et sélectionné pour représenter l’Algérie aux Oscars 2025.

Dzdia : Pourquoi ce double titre : Alger à l’international et 196 M en Algérie ?
Chakib Taleb-Bendiab : Parce que Alger est le personnage principal du film. À l’international, ce titre s’imposait naturellement. En Algérie, en revanche, appeler un film Alger Alger n’avait pas de sens. On a choisi 196 M : c’est un indice majeur, à la fois lié à la structure de la ville et à l’enquête. Mais je préfère que le public le découvre en regardant le film.
L’histoire est inspirée d’un fait réel, pourquoi vous a-t-elle tant touchée ?
Oui. C’est parti d’un drame des années 90, quand j’étais collégien à Alger : l’enlèvement d’une petite fille. Ce qui m’intéressait, ce n’était pas de raconter le passé tel quel, mais de montrer comment un trauma collectif peut ressurgir dans l’Algérie contemporaine. Le film se déroule en 48 heures, dans l’urgence, avec des personnages marqués chacun par leur histoire et leur vision du pays. C’est un thriller, mais aussi une réflexion sur la mémoire.
Vous mettez en avant une policière, figure féminine forte du récit. Pourquoi ce choix ?
Je voulais casser certains clichés véhiculés sur l’Algérie. Nous avons travaillé en immersion avec la brigade des mineurs et des commissaires femmes, très engagées et respectées. Le film montre une réalité authentique : en Algérie, par exemple, les salaires sont égaux entre hommes et femmes dans la police. Ce personnage féminin apporte intuition, force et justice, mais les autres personnages ont aussi leur vérité. J’aime les personnages « gris », jamais totalement bons ni mauvais.
Alger est omniprésente à l’écran. Vous la filmez comme un personnage à part entière…
Absolument. Nous avons fait des repérages minutieux pour que chaque ruelle, chaque façade racontent une histoire. Alger est belle jusque dans ses stigmates. On l’a filmée du ciel, des hauteurs, mais aussi au ras du sol, dans ses entrailles. La ville incarne la mémoire, les blessures et l’énergie de l’Algérie d’aujourd’hui. Comme me disait le grand cinéaste Merzak Allouache qui m’a beaucoup aidé dans la postproduction du film : «Ajoute Alger, encore et encore !»
Comment s’est passé le tournage ?
Nous avons tourné en 28 jours seulement, après trois semaines de répétitions. C’était un défi énorme, avec un petit budget financé en Algérie uniquement. On a improvisé, transformé des décors existants, parfois dans des conditions extrêmes jusqu’à 50°C dans un appartement sans climatisation ! Mais cette contrainte a donné une sueur authentique aux comédiens ! Et puis il y a eu des imprévus magnifiques : une gifle improvisée, un chien qui surgit en pleine scène courant derrière Hichem Mesbah… Ces situations nous auront appris à dépasser les difficultés et les contraintes qui occupaient la majeure partie du tournage.
Parlons des comédiens : comment les avez-vous choisis ?
Tous ont passé des essais, même les plus connus. Je crois que c’est un respect envers eux. On ne choisit pas une tête d’affiche pour son nom, mais pour son adéquation au rôle. Myriam Medjkane, Nabil Asli, Hichem Mesbah, Ali Namous ou encore Aziz Boukrouni et d’autres ont donné une intensité incroyable, parfois en tournant seize heures d’affilée. Ils ont incarné leurs personnages avec force et professionnalisme.
La musique occupe aussi une place importante
Oui, elle est presque un personnage à part entière. Je l’ai composée moi-même et interprétée à la guitare ! Avec Marielle de Rocca Serra, nous avons composé toute la bande originale. Faute de moyens, on a dû faire beaucoup nous-mêmes. Mais finalement, la musique exprime l’émotion d’Alger et des personnages : c’est leur voix intérieure.
Le film contient aussi une histoire d’amour discrète mais poignante…
Oui, en filigrane. C’est une relation contrariée, marquée par les traumas des personnages pendant la décennie noire. Ils se rapprochent mais trop tard, au pire moment. C’est une métaphore : tant que l’on reste prisonnier de ses blessures, on ne peut pas avancer, ni aimer pleinement. C’est la dramaturgie de la vie.
Avec Alger, Chakib Taleb-Bendiab signe un premier film audacieux, tourné dans l’urgence et les contraintes multiples. Plus qu’un thriller, c’est une déclaration d’amour à une ville et à son peuple, une fresque où se mêlent douleur, mémoire et espoir. L’Algérie y apparaît dans toute sa complexité : blessée, résiliente… à l'image de ses amoureux.
Site officiel du film : https://alger.lefilm.co/