C’est une figure majeure du cinéma algérien et mondial qui nous a quittés. Le réalisateur, scénariste et producteur Mohamed Lakhdar-Hamina est décédé le 23 mai 2025, à l’âge de 95 ans, dans son domicile, le jour même où le Festival de Cannes lui rendait un hommage, en présence de son fils, le réalisateur Malik Lakhdar-Hamina, par la projection de la version restaurée du film de son chef-d’œuvre, Chronique des années de braise, dans la section Cannes Classics, pour célébrer le 50e anniversaire de sa Palme d'Or. Un symbole fort, presque mystique, pour celui qui fut, et demeure, le seul cinéaste algérien, africain et issu du monde arabe à avoir décroché la Palme d’or du prestigieux festival, en 1975. "Il avait su établir un véritable pont culturel entre le sud et l’occident, devenant ainsi la voix du tiers monde et de son pays pendant près de quarante ans. Il était le doyen des lauréats de la Palme d’Or encore en vie. Lakhdar-Hamina était l’un des derniers grands maîtres du cinéma épique et lyrique, laissant une empreinte indélébile sur le festival international de Cannes et sur le cinéma en général." peut-on lire dans le communiqué publié par ses fils, Malik et Tarek Lakhdar-Hamina.

Né en 1934 à M’sila, Mohamed Lakhdar-Hamina aura été pendant plus de quatre décennies la voix d’un cinéma libre, engagé, poétique et profondément enraciné dans les luttes de son peuple. C’est dans les maquis, en pleine guerre de libération, qu’il signe ses premiers films militants, tels que La Voix du peuple et Les Fusils de la liberté. Dès l’indépendance, il devient l’un des piliers de la jeune cinématographie nationale, dirigeant successivement l’Office des actualités algériennes (OAA) de 1963 à 1974, puis l’Office national pour le commerce et l’industrie cinématographique (ONCIC) de 1981 à 1984.
Révélé au grand public par Le Vent des Aurès (1967), œuvre puissante sur les ravages de la guerre d’Algérie et la dignité d’une mère en quête de son fils disparu, il remporte avec ce film le prix de la première œuvre au Festival de Cannes en 1967. Suivront des films majeurs qui jalonnent sa carrière : Hassan Terro (1968), Chronique des années de braise (1975), Vent de sable (1982), La Dernière image (1986) et Crépuscule des ombres (2014), son ultime réalisation, qui prolongeait les thématiques de mémoire et d’identité chères à son œuvre.
Son cinéma, profondément humaniste, a su faire entendre la voix des sans-voix, donner une chair au silence des dominés et inscrire l’histoire algérienne dans une langue cinématographique universelle. À travers une mise en scène lyrique et un regard acéré sur les rapports de pouvoir, il a bâti une œuvre politique au sens le plus noble du terme, saluée par la critique internationale et plusieurs fois primée. Il fut également producteur de films d'envergure, tel que «Z» de Costa-Gavras, lauréat de l’Oscar du meilleur film étranger.
La nouvelle de sa disparition a bouleversé le monde de la culture. De nombreux artistes, institutions et anonymes ont exprimé leur reconnaissance et leur émotion. Le rappeur et acteur Sofiane Zermani (Fianso), présent à Cannes lors de l’hommage, a tenu à saluer cette mémoire vive :
« Chronique des années de braise, ce n'est pas juste un film. C'est un cri d'humanité, une œuvre de vérité. C'est un morceau de notre Histoire, celle qui brûle encore dans les silences, dans les blessures, dans les souvenirs qu'on nous a trop souvent appris à taire. Ce film, c'est la voix de nos grands-parents. C'est la marche de ceux qui n'avaient rien, sauf leur dignité. C'est une lumière dans la nuit de l'oubli. »
L’Institut national supérieur du cinéma de Koléa porte son nom dès sa création en 2024, scellant ainsi la reconnaissance nationale pour une œuvre qui a durablement influencé des générations de cinéastes et de spectateurs.
Le cinéma algérien, et au-delà de lui, le cinéma de la dignité, du combat et de la beauté, perd l’un de ses plus grands maîtres. Son œuvre continuera de parler à nos consciences et de nourrir nos regards. Elle survivra à l’épreuve du temps, comme un phare dans la nuit, éclairant les chemins de la mémoire collective et de la justice poétique.