Oubliez les clichés. À Béchar, au cœur de l’oasis saharienne, Hasna El Becharia a façonné sa propre légende : celle de la première musicienne à avoir enflammé les scènes du monde entier en imposant le guembri (instrument traditionnel algérien réservé exclusivement aux hommes ). Avec La Rockeuse du désert, la réalisatrice Sara Nacer signe bien plus qu’un simple portrait : elle nous plonge dans l’intimité d’une femme libre, puissante, insoumise, incarnant l’âme même du désert. Formée à l’architecture en Algérie avant de s’établir à Montréal, où elle fonde sa boîte de production en 2013, Sara Nacer trace un parcours singulier entre musique, image et engagement.
Elle revient pour Dzdia sur cette amitié profonde et sur le geste de transmission qui a guidé ce film.

Sara Nacer, dites-nous ce qui vous a motivé à consacrer un film documentaire à Hasna El Becharia ?
J’ai découvert Hasna grâce à son premier album. Comme beaucoup d’Algériens à l’époque, j’ai été séduite par son style unique et ses mélodies envoûtantes, notamment l’incontournable Djazair Johara. C’est elle qui, sans le savoir, m’a ouvert les portes du cinéma. À l’origine, j’avais accepté de produire un film sur son parcours pour un ami. Lorsqu’il s’est retiré du projet, je n’ai pas voulu abandonner ni le film, ni la promesse faite à Hasna de raconter son histoire. C’est ainsi que je me suis retrouvée à réaliser mon tout premier film, consacré à l’incroyable parcours de cette pionnière.
Quels défis se présentaient à vous la réalisation de ce documentaire?
Le plus grand défi de ce tournage, c’est que ce film était mon tout premier projet de cinéma. J’ai donc appris le métier en le pratiquant, sur le terrain. Je ne regrette rien : ce fut un long parcours, étalé sur une dizaine d’années, avec ses hauts et ses bas, mais toujours porté par l’aura de Hasna, qui m’a permis d’aller de l’avant.
Le défi était aussi logistique et humain : le film a été tourné dans plusieurs pays, et j’ai dû endosser de nombreux rôles réalisatrice, productrice, cadreuse, et même monteuse. J’ai aussi produit la première tournée nord-américaine de Hasna en 2013, afin de pouvoir amorcer le tournage au Canada. Ce film a été, pour moi, une véritable école de cinéma.
Au-delà de la musique, quelles facettes de la personnalité ou de la vie de Hasna avez-vous cherché à mettre en lumière dans votre film ?
Sa générosité sans limite et sa spiritualité hors du commun, j'ai rarement vu une personne aussi résiliente et croyante que Hasna. Elle m'a donné des leçons de vie à plusieurs niveaux, et sa force de caractère mêlée à son incroyable sensibilité font d'elle une femme extraordinaire qui mérite que son histoire soit connue. Dès son jeune âge, elle a suivi sa voie et s'est imposée dans un univers masculin et conservateur, avec le respect des codes et des traditions, mais la volonté de changer les choses. Une révolution tranquille tant musicale que sociale. Elle était consciente que son don était unique et qu'elle devait s'accrocher même quand cela semblait impossible et elle laisse derrière elle aujourd'hui un héritage majeur.

Comment décririez-vous votre relation et votre compréhension du personnage qu’était Hasna tout au long du processus de création du documentaire ?
Pendant les dix années qu’a duré la réalisation de ce projet, Hasna et moi nous sommes beaucoup rapprochées. J’ai eu la chance de vivre une relation privilégiée avec elle, toujours empreinte d’authenticité. C’était une femme vraie, entière, qui n’aimait pas les faux-semblants. On s’appelait souvent, pour les fêtes comme le feraient des membres d’une même famille ou de vieux amis.
Je n’ai jamais voulu lui donner de faux espoirs : quand le film rencontrait des obstacles, je les lui partageais. Mais je lui avais promis d’aller jusqu’au bout, coûte que coûte, et hamdoulah, cette promesse a été tenue.
Le plus beau moment fut pour moi le jour où elle a pu voir son film sur grand écran. Quand le public s’est levé pour l’applaudir et lui rendre hommage, j’ai vu la fierté dans son regard. C’était un instant d’une intensité rare, et cela n’avait pas de prix. Elle le méritait tellement. Le film a également relancé la carrière de Hasna. J’ai vu à quel point cela lui faisait plaisir de remonter sur scène, de retrouver son public, et de prolonger les projections du film par des concerts. C’était pour elle une renaissance, et pour moi un bonheur immense de voir la portée du film sur sa carrière, et de voir Hasna briller à nouveau.
Nous avons partagé des moments intenses, riches en émotions, que je n’oublierai jamais. Ce sont des souvenirs indélébiles, gravés à jamais dans ma mémoire.
Au moment où elle nous a quittés, nous étions en pleine préparation d’une nouvelle tournée européenne. Chaque nouvelle date qu’on lui annonçait la remplissait de joie et de fierté. Elle était prête à continuer, à chanter, à rencontrer son public.
Qu'espérez-vous que les spectateurs retiennent après avoir vu votre documentaire sur Hasna El Becharia ?
Dans une ville d’Algérie, hors de toute attente, une femme a mené une véritable révolution musicale et sociale. Son parcours, unique et courageux, est devenu une source d’inspiration pour toutes celles et ceux qui continuent de croire, même lorsque tout semble impossible. Hasna l’a fait pour elle, mais aussi pour nous.