Depuis plus de quarante ans, Halima Lamine trace une trajectoire hors des sentiers balisés de la scène artistique algérienne. Une trajectoire sans fard, sans concessions, mais toujours habitée. Peintre viscérale, intellectuelle engagée, elle creuse son sillon au croisement du geste instinctif et de la réflexion profonde.
Samedi dernier, à la librairie-galerie Alamat, nichée au cœur d’un quartier populaire de la Casbah d’Alger, s’est tenue une exposition dense, intimiste, portée par la présence vive d’Halima Lamine. Sur les murs, des visages sombres ou éclatants, des regards figés, des silences accrochés à la toile. Entre noir et blanc et couleurs criardes, les portraits exposés, de petit format, traduisent un chaos intérieur contenu, un souffle retenu. Le vernissage, empreint de chaleur humaine, d’échanges directs et de sensibilité, résonnait comme un prolongement naturel de l’artiste : libre, dense, indocile.

« Je ne sais pas faire autre chose que peindre. C’est vital. Je produis énormément, c’est un besoin viscéral », affirme-t-elle, lucide et ferme. Pour elle, la peinture n’a jamais été une ambition ou un choix de carrière, mais un appel. Une nécessité, chaque jour.
Formée à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts d’Alger, Halima Lamine revendique une liberté d’être et de créer. Elle se méfie des classifications, des logiques de marché, des étiquettes qu’on colle trop vite. « La peinture est un acte intellectuel », rappelle-t-elle. Intellectuel, mais pas élitiste. Profondément ancré dans le réel, dans le vivant. Les portraits qu’elle expose traduisent solitude, aliénation, tristesse, angoisse : autant de vertiges contenus dans des visages anonymes mais troublants.
« Dans nos sociétés, les yeux sont des fenêtres. Les femmes qui portent l’adjar (voilette), par exemple, s’expriment par le regard. » Halima Lamine observe, capte, retranscrit sans bavardage. Encre de Chine, acrylique, huile : peu lui importe la technique, pourvu que le geste suive l’élan. Elle rejette les approches linéaires de l’histoire de l’art. Pas de « période bleue » ou « période rose » chez elle. Noir et blanc ou couleurs criardes cohabitent, surgissent d’un même moment. Une logique de tension, pas de segmentation.
Halima Lamine est aussi poétesse. Elle a publié, à compte d’auteur, trois recueils de poésie. Courts, denses, parfois énigmatiques, ses textes prolongent sa peinture. Elle cite Baudelaire, imagine ses tableaux comme autant de fragments littéraires, des récits ouverts. La peinture, chez elle, parle. Mais elle appelle aussi d’autres voix, d’autres langages.