Faire dialoguer le chaâbi avec le présent, c’est l’ambition qu’a porté le musicien Anouar Kaddour Chérif lors de sa résidence artistique à Mahatta, un espace indépendant dédié aux pratiques contemporaines à Alger. La semaine dernière, c’est dans l’écrin intimiste de Mon Autre École qu’il a présenté cette sortie, établissement éducatif alternatif niché au cœur de la capitale, lors d’un concert mêlant musique et échanges avec le public. Plus qu’une simple restitution, ce moment marquait l’aboutissement d’un processus de création libre, à la frontière du patrimoine musical et de l’innovation sonore, sans céder aux formats préétablis ni aux compromis artistiques.
Durant plusieurs semaines, Anouar Kaddour Chérif a investi Mahatta comme on habite un lieu de vie : dans l’écoute, la lenteur, et l’ouverture aux rencontres. Cette expérience est vécue comme un retour aux sources.
Après plusieurs années passées en Suisse où il réside, ce mandoliniste virtuose est revenu s’immerger dans une scène artistique algérienne qu’il suit de loin, mais à laquelle il reste intimement lié. Cette résidence, rendue possible grâce au soutien de Pro Helvetia, la fondation culturelle suisse, ne poursuivait aucun impératif de production. Elle offrait ce luxe rare : du temps pour créer, expérimenter, errer, recommencer.
« Ce qui se passe à Mahatta est inouï : c’est une structure qui donne un peu d’espoir à la scène algérienne. Ici, j’ai rencontré des producteurs, des musiciens, des journalistes… Il y a une effervescence qui fait du bien. » confia-t-il à Dzdia.
Faire du chaabi autrement
La résidence s’est construite au fil des rencontres, notamment avec des musiciens live, des producteurs, des complices de cheminement artistique. Le choix des corpus est resté volontairement ouvert, évolutif. « Je choisis souvent ce qui me parle à moi, avant que ça ne parle à quelqu’un d’autre… Je n’essaie pas de répondre à une demande, à un format. Je ne cherche pas à faire une version pop pour plaire. » confie Anouar.
Ce refus de se plier aux logiques de calibrage commercial témoigne d’une posture artistique affirmée : Anouar s’inscrit dans la tradition du chaâbi, qu’il honore avec une profonde fidélité, tout en s’accordant la liberté de l’interroger, de le réinventer et de le faire évoluer. Il cite Dahmane El Harrachi comme figure tutélaire, un musicien qu’il considère « presque rock » par son audace rythmique et son état d’esprit. d’avant-garde. Dans la même veine, il dit : « J’ai envie de montrer ça aux Algériens. On peut faire autrement le chaâbi. Le faire bouger, danser, penser. »
Un moment de partage et de transmission
La restitution, accueillie à Mon Autre École, a pris la forme d’un concert commenté, à la fois sensible et généreux, au cours duquel Anouar a partagé la scène avec Nadji Snoussi à la guitare, Imad El Houari au qanûn, Ali Ben Hettab au târ, et Aït Aïssa Abdelhakim à la derbouka. La médiation de la soirée a été assurée avec finesse par Shahinez Guir, permettant au public, composé d’artistes, de curieux, et de journalistes de saisir les enjeux du processus artistique en cours.
Ce moment n’est pas une fin, mais une étape. La suite s’écrira entre Alger et Genève, entre mémoire populaire et explorations contemporaines. Le projet musical d’Anouar entend porter une vision libre du chaâbi à l’international, sans jamais céder aux compromis. Il propose, tout en nuance, un art habité, une tradition vivante, un imaginaire collectif nourri de résonances et de porosités.
Anouar Kaddour Chérif incarne cette génération d’artistes qui choisissent la profondeur plutôt que la rentabilité, la lenteur plutôt que la course, le partage plutôt que la performance. Cette résidence a été, à bien des égards, une leçon de musique, mais aussi une leçon de présence.