Avec son exposition Éternel Éphémère, l’artiste pluridisciplinaire Mizo propose une plongée dense et poétique dans son univers. Intitulée de manière volontairement paradoxale, l’exposition interroge d’emblée notre rapport au temps, à la matière et à la mémoire. Présentée le 21 mai à l’Institut français d’Alger, cette création plastique est traversée par une profonde réflexion sur la condition humaine, la vie, la mort, le deuil et la temporalité.La notion d’Éternel Éphémère fonctionne comme un fil rouge. Cette tension entre ce qui perdure et ce qui s’efface structure l’ensemble du projet, qui repose sur une trilogie sémantique : Humain, Faune et Flore. Ces trois axes ne sont pas abordés de manière cloisonnée, mais mis en résonance afin de mieux révéler leurs liens invisibles, parfois menaçants, toujours fragiles. Au cœur de sa démarche, le médium n’est jamais neutre : il est porteur de sens. Cette dialectique structure l’ensemble de l’exposition.
Le court-métrage documentaire réalisé par Mizo, présenté en prélude de ce finissage, a apporté des clés de lecture et des éléments de compréhension. Il donne à voir l’envers du visible : les gestes, les réflexions, les matières. Cette médiation précieuse permet de mieux saisir le cheminement de l’artiste, sa relation au territoire, et son désir de transmission. Ce film intime, centré sur le processus de création, constitue un acte de grande générosité.
L’exposition se déploie en un parcours sensible à travers plusieurs médiums : toiles, photographies, supports multimédias s’entrelacent pour composer un univers singulier. Mizo ne cherche pas à imposer une lecture unique, mais invite à l’immersion, à l’introspection, au décentrement.
« Le vrai s'efface dans le faux, l'invisible se laisse deviner par l'écho du visible. Tout semble s'opposer et se répondre à la fois, dans un ballet d'illusions sensibles. Chaque médium choisi devient une voix, une texture, un éclat pour traduire ces paradoxes », explique l’artiste.

Un diptyque en tension : entre cycle, paix et création
La première toile, Samsara, donne le ton : inspirée des philosophies orientales, elle évoque le cycle de la vie et des réincarnations, métaphore du processus créatif. Couleurs terreuses et motifs cycliques composent une œuvre en tension entre le charnel et le spirituel. Plus loin, la toile Shanti, signifiant « paix » en sanskrit, agit comme un contrepoint. Par son dépouillement presque méditatif, elle introduit un espace de prolongement de Samsara. Ce diptyque structure l’ensemble du parcours : entre chaos et apaisement, effondrement et élévation.
Les photographies Les jeux sont faits, Évanescence, Le dernier voile, Jeu d’échecs, La pensée de Rodin forment une série cohérente par leur mise en scène précise et leur usage du clair-obscur. Mizo y déploie une esthétique de la disparition, jouant des flous, des superpositions et des effets d’effacement. Ces images racontent sans imposer, suggèrent davantage qu’elles ne démontrent. Elles prolongent une méditation sur la trace, la perte, la limite entre le visible et l’indicible. Le choix chromatique, dominé par un noir dense, accentue cette impression de vertige. L’argile, omniprésente, notamment sur les corps de mannequins, évoque une mémoire terrestre, ancestrale, presque sacrée. La terre crue, malléable puis fissurée, dit à la fois la naissance et la ruine, l’éveil et la disparition.
Les sept grands panneaux de l’exposition symbolisent les sept portes d’Alger. Ils sont jalonnés de plusieurs œuvres intitulées toutes Nature morte. Ces œuvres hybrides, entre photographie, peinture et encre de Chine, relèvent d’un travail d’évaporation. Leur aspect éthéré, presque spectral, évoque illusion fugace optique et disparition imminente.
Rim Lil Laaredj : performance poignante au cœur de Éternel Éphémère
L’exposition a également accueilli une performance interprétée par l’artiste invitée Rim Lili Laaredj. Sa prestation, conjuguant corps, souffle et silence, a incarné avec force l’intention de l’exposition. D’une grande sobriété, la performance a redoublé la charge émotionnelle de l’exposition, notamment celles évoquant la perte ou le deuil. Elle a déclamé en trois langues : français, darja et arabe Baba yetu Lahbila, un poème de Zineb Laouedj, ainsi que des Psaumes. « Je suis ravie de performer à Alger pour la première fois. On me connaît davantage en Algérie pour mon travail de réalisatrice et d’auteure, mais moins en tant que comédienne et poétesse. C’est donc une grande joie de me dévoiler ainsi, d’autant plus dans l’univers de Mizo. Cela donne une résonance particulière à ma performance. Collaborer avec lui est un immense cadeau qu’il me fait. » confie-t-elle.
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Avec Éternel Éphémère, Mizo signe une œuvre forte, à la fois ancrée dans la matérialité du monde et tendue vers l’abstraction de l’émotion, du souvenir et du sacré. Loin de tout esthétisme gratuit, l’exposition affirme la puissance du fragile, la nécessité de penser ensemble disparition et survivance, oubli et mémoire. Elle nous rappelle que l’art ne guérit pas, mais qu’il donne forme à l’insaisissable, qu’il lie sans réduire, qu’il éclaire sans éteindre.