Dans cet entretien approfondi, Cheikh Khaled Bentounes, guide spirituel de la confrérie soufie Alâwiyya et à l’origine de la Journée Internationale du Vivre Ensemble en Paix célébrée chaque 16 mai, revient sur la genèse de cette initiative et sa portée universelle. Ancrée dans la tradition soufie de son arrière-grand-père, le Cheikh Ahmad Ben Mustapha al-‘Alâwî, cette démarche vise à replacer l’humain, la paix et l’harmonie au cœur des préoccupations collectives.

Quel a été le point de départ de cette journée du 16 mai ?
L'initiative de promouvoir le « Vivre Ensemble » a émergé en 2014 lors du « Congrès international féminin pour une culture de paix », organisé à Oran par l'Association Internationale Soufie Alâwiyya (AISA ONG Internationale), sous le haut patronage de Son Excellence le Président de la République algérienne, feu Abdelaziz Bouteflika. Les 3200 congressistes venus de 25 pays, accompagnés de nombreuses ONG internationales, ont unanimement recommandé, dans la Déclaration d'Oran, l'instauration d'une Journée Internationale du Vivre Ensemble.
Ce projet a été présenté par AISA ONG Internationale lors de la 59ème session de la Commission de la condition de la femme (ECOSOC), à New York en mars 2015, dans le cadre d'une contribution active à l'effort mondial pour la promotion d'une culture de paix, notamment en partenariat avec le mouvement du Scoutisme international. Notre motivation puise ses racines dans l'enseignement de mon arrière-grand-père, le Cheikh Ahmed Ben Mustapha al-'Alâwî. L'UNESCO, lors de sa 37ème Conférence générale en novembre 2013, soulignait d'ailleurs que :
« L'ordre soufi 'Alâwî, fondée par le Cheikh al-'Alâwî, un fait de la promotion du dialogue interreligieux sa priorité. Il accepte ce qui peut contribuer au bien-être matériel de l'homme, à condition que cela reste en harmonie avec sa dimension intérieure. »
Dans ses écrits philosophiques, le Cheikh al-'Alâwî propos une vision holistique de l’humanité et de l'éducation au vivre ensemble : « L'homme est à la société ce que le membre est au corps… chacun est noble en raison de sa nécessité. [...] Les sens travaillent ensemble pour la perception ; la raison choisit ce qui est utile pour l'ensemble. »
Au-delà de la date symbolique du 16 mai, quels objectifs espérez-vous concrétiser grâce à cette journée ?
La paix est une valeur essentielle, une aspiration universelle. Mais elle exige un engagement quotidien dans nos relations. Il ne suffit pas de la souhaiter, il faut la transmettre, l'incarner, la construire. Cette culture de paix commence par l'éducation. Elle suppose une transformation des consciences afin d'humaniser et d'harmoniser le monde. Elle appelle chaque croyant ou non-croyant, religieux ou laïque à devenir témoin et artisan de paix.
Il est urgent d'agir : comment unir nos forces, nos compétences, nos volontés ? Comment triompher ensemble des peurs et des incertitudes ? Comment donner du sens à notre passage sur Terre ? À ces interrogations existentielles, je propose que nous répondions collectivement par l'engagement, le dialogue et la solidarité.
Comment instaurer une dynamique collective autour de cette Journée, notamment en Algérie ?
Pour inscrire durablement cette Journée dans les cœurs et dans les faits, notamment dans un pays comme l’Algérie qui a porté cette initiative avec tant d'engagement diplomatique, je formule plusieurs souhaits. En premier lieu, que chaque famille éduque ses enfants à la paix, avec l’appui d’écoles intégrant cette valeur dans leurs enseignements. De plus, il est essentiel que soient transmis à tous les enfants les outils du vivre ensemble : savoir-être, savoir-dire, savoir-faire, afin de construire un avenir commun et non conflictuel.
Quelles valeurs essentielles cultiver pour un Vivre Ensemble authentique et durable ?
Il nous faut avant tout une éducation holistique qui vise l’équilibre intérieur de l’enfant et sa paix avec le monde. Des valeurs universelles comme la bienveillance, la dignité et la justice sont fondamentales. Une citoyenneté consciente et responsable, tournée vers le bien commun, s'avère indispensable. Le respect de la diversité et de la vie, l’émerveillement et la créativité nourrissent ce vivre ensemble. De plus, un lien intime avec la nature, perçue non comme une simple ressource, mais comme une véritable source de vie, est crucial, tout comme une conscience de l’interdépendance entre tous les règnes du vivant. Enfin, l’enseignement progressif des vertus du « bel agir » (Ihsan), telles que la sincérité, l’humilité, le courage et le partage, parachève cet ensemble de valeurs essentielles.
Quels sont les défis à relever pour la création de l’Académie Internationale de la Paix ?
Nous n’avons pas encore pris toute la mesure de l’importance de la paix : avec soi-même, avec les autres, avec la nature. Il nous faut une conscience renouvelée et une volonté politique forte. La réponse passe par l’action. Ensemble, mettons nos ressources, nos talents, nos énergies au service d’un projet commun : bâtir la Demeure de la Paix dont la fondation est une véritable culture de paix. Nous devons en premier lieu mobiliser la jeunesse autour de ce message, notamment via les réseaux sociaux. Parallèlement, il est crucial de promouvoir une écologie du lien, un développement durable vecteur de paix. De plus, il convient de revisiter les sagesses du monde afin d'en révéler les appels universels à l’amour et à la paix et valoriser les arts, la culture et le patrimoine permet d'éveiller la conscience à la beauté et à l’humanité. Il est également essentiel d'encourager l’égalité des genres et une complémentarité réconciliée. De même, promouvoir une architecture du mieux-vivre, fondée sur des valeurs humaines et durables, est une nécessité. Enfin, la création d’une Académie de la Paix, destinée à fédérer les initiatives et à enseigner une pédagogie dédiée, accompagnée d'un prix international pour les actions remarquables, constituerait une avancée significative.
Comment intégrer l’Éducation à la Culture de Paix dans les programmes scolaires ?
Tout changement durable commence par l’éducation. Celle-ci est un devoir sacré. Nous devons unir nos savoirs, nos ressources et nos technologies pour bâtir un monde meilleur. La Déclaration de Genève pour " l’éducation à la culture de paix ", proclamée au Palais des Nations le 16 mai 2024, en est un socle fondateur. Elle affirme que la paix est un état d’être, fondé sur le vivre et faire ensemble. Que " l’éducation à la culture de paix " est un levier essentiel pour faire face aux crises actuelles. Ces crises appellent des réponses structurelles fondées sur un nouveau regard, et une conscience universelle renouvelée. Je vous invite à découvrir cette déclaration et à rejoindre les signataires de la Déclaration de Genève lien ici