Au cœur du ksar Tajnint, dans la vallée du M’Zab, un projet audacieux réinvente la préservation du patrimoine mozabite. Twiza Ammi Brahim, porté par l’Association Imekres, ne se contente pas de restaurer un site historique : il fédère la mémoire collective et l’engagement citoyen tout en intégrant les avancées technologiques. Alliant tradition et innovation, ce chantier incarne une dynamique culturelle qui relie le passé à l’avenir.

Un projet pilote aux multiples dimensions
Trois chantiers participatifs visant à la réhabilitation du site et divers workshops ont jalonné le programme, lancé officiellement le 23 juillet 2024. Une restitution finale a été organisée pendant le Mois du patrimoine 2025, qui se déroule chaque année du 18 avril au 18 mai en Algérie, culminant avec un séminaire scientifique dédié à l’analyse du projet.
L’initiative Twiza Ammi Brahim se distingue par son approche participative. Elle mobilise les jeunes, les artisans, les entrepreneurs locaux, les autorités et les ONG dans un esprit de solidarité, conformément à la tradition du volontariat «Twiza». Les actions concrètes menées vont de la réhabilitation du parcours sur le site Ammi Brahim à l’installation de mains courantes pour faciliter l’accès des personnes âgées ou à mobilité réduite.
Inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1982, le site d’Ammi Brahim est le fruit d’une organisation sociale ibadite raffinée. Il témoigne du savoir-faire architectural amazigh, qui a influencé des figures majeures de l’architecture moderne, comme Le Corbusier ou Fernand Pouillon. Le projet, inscrit dans le programme World Heritage Volunteers Initiative 2024/2025 de l’UNESCO, marque ainsi une étape cruciale dans la préservation active du patrimoine de la vallée du M’Zab.
Un colloque national pour penser l’avenir du patrimoine
Le 14 et 15 mai 2025, l’Association Imekres, en partenariat avec l’Université de Tlemcen et l’Office de Protection et de Promotion de la Vallée du M’Zab (OPVM), et sous le haut patronage du ministère de la Culture et des Arts, a organisé un colloque national à Ghardaïa. Placé sous le thème « Le patrimoine, un pont entre le passé et l’avenir », cet événement a réuni chercheurs, architectes, responsables institutionnels et acteurs de la société civile.
Ce colloque a permis d’aborder des enjeux majeurs tels que la conservation de la mosquée Ammi Ibrahim Ben Menad Zenati, pièce maîtresse du site. L’intervention du bureau d’études Inorar a particulièrement retenu l’attention en comparant l’architecture spirituelle du mausolée à celle de l’église de Ronchamp conçue par Le Corbusier, mettant en lumière leur sobriété formelle et leur charge symbolique mais surtout l’impact de l’architecture ibadite.
L’un des volets novateurs du projet réside dans l’usage des technologies numériques. Le mausolée a été entièrement scanné en 3D par l’entreprise Digi-roots XR, permettant la création d’une visite virtuelle immersive. Ce travail s’inscrit dans une stratégie de valorisation à long terme du site par le biais du tourisme virtuel. Ce recours au numérique, aux technologies immersives et à l’intelligence artificielle vise à rendre le patrimoine plus accessible, notamment aux jeunes générations et aux établissements scolaires, qui y ont vu un levier ludique de transmission des savoirs.
« Je suis très satisfait : ce projet, né d'une simple idée, s’est transformé en une action fédératrice. Je suis fier de constater son impact, notamment à travers la numérisation du tout premier site patrimonial de Ghardaïa — une avancée symbolique et concrète pour la mémoire de notre territoire. » déclare Sid Ahmed Bouhoun, président de Imkress á Dzdia
Le projet Twiza Ammi Brahim articule intelligemment volet académique et impact socioculturel. Le colloque a donné lieu à la présentation de 16 communications scientifiques, soulignant l’importance du lien entre recherche, savoir traditionnel et engagement communautaire. Ce projet est aussi une démonstration convaincante du potentiel du patrimoine comme levier de développement durable, notamment dans des contextes sahariens souvent sous dotées.
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Twiza Ammi Brahim dépasse les contours d’un simple projet de réhabilitation. Il constitue un manifeste pour une réappropriation citoyenne du patrimoine, où la mémoire locale est activée et mise en mouvement par ses héritiers eux-mêmes. À la croisée des disciplines et des générations, cette initiative propose une vision audacieuse du patrimoine : ancrée dans la tradition, tournée vers l’avenir, et irriguée par les outils de son temps.
En bâtissant sur les fondations du passé, c’est tout un imaginaire saharien qui se redéploie avec dignité, intelligence et solidarité.