Peintre autodidacte, Hocine Ziani traverse les époques à travers ses œuvres, entre mémoire familiale, passion pour le Sahara et conscience citoyenne. Dans cet entretien, l’artiste revient sur les origines de sa vocation, son lien intime avec le Hoggar et la genèse du portrait de Tin Hinan, figure emblématique de l’histoire touarègue. Il aborde également, sans détour, les défis posés par la reconnaissance des droits d’auteur en Algérie, dans un contexte où les œuvres circulent souvent sans crédit ni respect de la propriété intellectuelle.

Présentez vous et parlez nous de votre parcours ?
Je suis artiste peintre professionnel, autodidacte de formation. À ma naissance, ma mère n’avait pas à chercher des prénoms puisque j’étais déjà prénommé Hocine par ma sœur. Quant à mes premiers pas dans l’art, je dois cela à ma mère, d’une part, et, d’autre part, à ce que l’on appelle un don, qui n’est autre que la sensibilité innée. Oui, ma mère fabriquait sa propre poterie pour les besoins familiaux. Elle utilisait la terre glaise et quelques couleurs à base de laine brûlée. Je l’accompagnais immanquablement dans cette tâche. En vérité, je ne faisais que guetter le moment où elle terminait. Dès lors, je me saisissais du reste de la terre et des couleurs pour modeler des figures à ma guise, que je colorais ensuite. C’est donc le modelage qui m’a ouvert la porte de la créativité et du dessin. Cela fut mon tout premier point de départ.
Qu’est-ce qui vous a incité à consacrer une toile à la figure de Tin Hinan ?
Dans ma jeunesse, j’ai eu la chance d’effectuer une partie de mon service militaire dans le Hoggar. En 1976, j’ai été envoyé là-bas par mesure disciplinaire. Cependant, la sanction infligée s’est avérée une bénédiction. La découverte de cet univers, désertique pour beaucoup mais riche de mémoire et de signes de vie à mes yeux, me bouleversa. Mon long séjour m’a permis de connaître et aimer cette contrée pour sa composante humaine, ses traditions, sa culture, son histoire et les splendeurs de ses paysages. Cette fascination inspira fortement ma création artistique. Je n’étais encore qu’un peintre amateur et un sportif militaire qui traînait son violon d’Ingres. Plus tard, en professionnel, après avoir durant de nombreuses années peint les Hommes Bleus, par admiration et en hommage à leur peuple, le portrait de leur reine, Tin Hinan, a germé dans mon imaginaire comme une évidence.
Pouvez-vous nous parler du processus créatif de cette œuvre en particulier ? Où et comment a-t-elle été peinte ?
Illustrer l’histoire n’est pas une tâche banale. Il en faut de la passion et du travail, avant et pendant la réalisation de l’œuvre, du courage et de la prise de risques, de la responsabilité et de la modestie, et, bien sûr, de la lecture et de l’imagination. Mon vécu parmi les Touaregs m’a beaucoup aidé dans mon inspiration pour ce portrait, que j’ai réalisé en 2007 dans mon atelier de Strasbourg.

Comment cette œuvre dialogue-t-elle avec les enjeux contemporains, notamment autour de la place des femmes dans les mémoires collectives ?
Toute nomination d’une femme à la tête d’une institution importante est une victoire contre les attitudes misogynes. Dans une société juste, et légalement parlant, il n’y a pas de place interdite à la femme. Les interdictions sont les inventions des hommes. Notre époque souffre de la mauvaise compréhension de ce qu’est et de ce que devrait être la spiritualité. D’où les déviations. Bref, dans le passé, notre société a connu des rois et des reines, tels que Kahina et Tin-Hinan.
Personnellement, j’aimerais que mon pays, l’Algérie, élise enfin une femme au poste de Présidente de la République. Ce serait un signe de bonne santé mentale de notre société. Mon espoir n’est pas une utopie. Tout change et tout devient possible.
Votre toile « Tin Hinan» circule sur les réseaux sociaux et dans certains projets culturels, souvent sans votre autorisation ni mention de votre nom. Comment vivez-vous cette récurrence d’atteintes à vos droits d’auteur ?
En Algérie, ainsi que dans certains pays du monde arabe, la notion du droit d’auteur n’est pas encore assimilée par la société. Il faudrait mobiliser des efforts à tous les niveaux pour que la loi régissant ce droit soit plus une pratique instinctive qu’un texte juridique existant seulement pour ceux qui le consultent.
Dans mon pays, les dispositions juridiques et les institutions censées appliquer la loi existent, mais le laxisme est une question d’attitude de personnes, qui n’assument pas leur responsabilité. À mon humble avis, l’ONDA, la société d’auteurs censée défendre et faire appliquer la loi en question, devrait revoir et moderniser ses règles, qui sont obsolètes pour le moment. Voulez-vous mon sentiment là-dessus ? J’en suis déçu, très déçu.