Dans la grande salle de conférence de la Grande Mosquée de Paris, ce n’était pas un simple lancement de livre, mais un acte de parole et de mémoire. Le 16 juin au soir, devant un public venu nombreux fidèles, intellectuels, jeunes citoyens, journalistes, le recteur Chems-Eddine Hafiz présentait son nouvel ouvrage, Défaire les ombres. À ses côtés, le professeur Sadek Beloucif, figure éminente du monde médical et penseur exigeant, prêtait à la soirée la solennité d’un double regard : l’un religieux et institutionnel, l’autre humaniste et scientifique.

Un titre-programme : défaire ce qui encombre la vérité
Dans un contexte saturé de soupçons, de surinterprétations médiatiques, d’amalgames et de tentatives de marginalisation, le Recteur Hafiz ne se contente pas d’écrire un livre. Il délie une parole qu’on attendait. Défaire les ombres n’est pas un recueil de ressentiments : c’est une entreprise de clarté. Il s’agit d’un manifeste où se mêlent la rigueur juridique, la sincérité spirituelle et l’exigence républicaine, pour conjurer le poison de l’injustice et redonner à l’islam de France sa dignité bafouée.
Le public ne s’y est pas trompé : il ne s’agissait pas d’un exposé doctrinal ou d’un plaidoyer communautaire. Le livre, comme l’auteur, s’adresse à tous : musulmans et non-musulmans, croyants et laïques, Français de souche et Français d’héritage. Loin des slogans, c’est une langue française précise, ferme mais nuancée, qui traverse les pages – celle de Molière et de Montaigne, de Jaurès et de Malraux, habitée par le souffle des figures musulmanes qui firent France, de l’émir Abdelkader aux tirailleurs oubliés.
Un propos politique, au sens noble
Dans l’entretien qu’il a accordé à Dzdia, Chems-Eddine Hafiz confiait : « Mon public, c’est à la fois les musulmans, mais également les non-musulmans, parce que je parle comme les non-musulmans, je m’exprime en français, dans cette langue de Molière qui nous est chère à toutes et à tous. » Cette déclaration donne la clef de lecture du livre : Défaire les ombres n’est pas une réclamation, mais une interpellation. Pas un repli, mais une offrande. L’ouvrage propose une refondation du pacte social, où la citoyenneté musulmane ne serait plus perçue comme un contresens ou une suspicion, mais comme un trait constitutif de l’identité républicaine.
Cette parole s’ancre dans une blessure vive. L’auteur l’a rappelé : « La Grande Mosquée de Paris ne mérite pas le sort qui lui a été réservé pendant des mois d’attaque et d’insinuation. » Le déclic de l’écriture est là, dans la nécessité de répondre non par le ressentiment, mais par la démonstration : un livre comme preuve et comme lumière, fidèle à cette phrase du Coran citée en exergue : « Apportez votre preuve, si vous êtes véridiques. » (S.2, V.111)
Une exhortation à la jeunesse et à l’engagement
Mais Défaire les ombres n’est pas seulement un droit de réponse, c’est aussi un appel. Aux jeunes musulmans, notamment, le recteur adresse un message vibrant : « Allez-y, foncez, n’attendez pas qu’on vous donne, parce qu’on ne vous donnera jamais rien. » C’est là la dimension la plus politique de l’ouvrage : une philosophie de la conquête du droit par la dignité et le mérite. Loin des logiques victimaire ou vengeresse, Hafiz dessine un horizon d’action, d’initiative, de construction commune.
Ce que vise l’auteur, à travers ses billets réunis, c’est un changement de paradigme : réconcilier la mémoire occultée avec le destin commun, revaloriser l’islam comme levier du bien public, dénoncer la ghettoïsation mentale et physique, et surtout répondre à la question sous-jacente : que faut-il faire pour que les musulmans ne soient plus « à la fois trop visibles et invisibles », comme le formulait un penseur invité dans la salle ?
Une soirée de gravité fraternelle
Au fil de la soirée, les échanges entre le Recteur, le Pr Beloucif et le public ont révélé l’épaisseur morale de l’entreprise. On ne publie pas Défaire les ombres comme on publie une tribune. On s’y engage. Et c’est dans ce sens que le livre fut salué : non comme un objet littéraire figé, mais comme une parole ouverte. Le professeur Beloucif souligna d’ailleurs la nécessité d’une pensée musulmane articulée aux grandes traditions philosophiques européennes, capable d’éclairer notre monde fragmenté.
Un message de fond, une méthode de paix
Au fond, Défaire les ombres est un traité de paix. Non une paix mièvre, mais une paix solide, fondée sur la reconnaissance mutuelle, sur l’intransigeance quant à la vérité, et sur la volonté de « ne jamais céder au vent mauvais ». Le style, à la fois véhément et mesuré, juridiquement affûté mais spirituellement irradiant, confirme que le Recteur Hafiz incarne aujourd’hui une voix singulière dans le paysage intellectuel et religieux français : celle d’un avocat de l’islam républicain, d’un passeur entre les blessures de l’histoire et les promesses de l’avenir.
Une œuvre pour le débat public
Par-delà la soirée, par-delà l’actualité qui l’a suscitée, ce livre restera. Il restera comme un jalon dans le débat sur l’islam en France, mais aussi comme un miroir tendu à la République. Non pour qu’elle s’y regarde avec suffisance, mais pour qu’elle y reconnaisse ses angles morts, ses oublis, ses contradictions _ et peut-être _ demain, ses espoirs.
Car comme l’écrit le Recteur : « La calomnie passera, les mensonges s’effaceront, et seule restera la vérité. » À condition qu’on ose la lire.