À Alger, le collectif émergent KulturEntik transforme les marges en espaces de création. Avec Fen & Visions, le duo formé par Anna B. et Inès I. propose une initiative culturelle inédite, indépendante et plurielle, portée par une envie claire : rendre visibles les regards algériens contemporains, qu’ils soient ancrés en Algérie ou issus de la diaspora.
Né sur Instagram dans une logique de curation collaborative, le projet a quitté l’écran pour investir le réel avec une ambition affirmée : créer un lieu de circulation artistique, d’écoute et de transmission. Photographie, cinéma, musique… Pendant trois jours, du 20 au 22 juin 2025, les disciplines se sont rencontrées dans un format vivant, généreux et collaboratif.
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Une mosaïque d’expressions et de regards
Conçu comme une traversée sensorielle, Fen & Visions s’est articulé autour de trois temps forts : une exposition photographique, des projections de courts-métrages et une programmation musicale.
« Ce qu’on a voulu faire dès le début, c’était vraiment créer un espace de partage. Que les artistes se rencontrent, qu’ils puissent rencontrer leur public. C’est tout le côté collectif de l’art qui est très beau et qui se perd un peu aujourd’hui, faute de lieux et d’opportunités. À notre petite échelle, on a essayé de leur donner ça. »
L’exposition réunissait neuf photographes aux parcours et origines diverses, venus d’Alger, Tipaza, Touggourt, Paris, et d’ailleurs. Parmi eux figuraient Hicham Chibatte, Wafaa Soltane, Nazhachi, Bilal Hadjeb, Rachid Ayadi, Rahma Mansour, Youcef Rachedi, Sarah Benamar et Sidahmed Belhechemi. Le thème commun : porter un regard algérien sur le monde, entre enracinement et altérité, entre mémoire intime et expérience diasporique.
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Youcef Cherkit alias Li Yarsam, jeune artiste visuel de 19 ans et créateur de l’affiche de l’événement, a également présenté une série d’œuvres personnelles, reconnaissables par leur esthétique cubiste bicolore, dominée par le jaune et le bleu.
Du côté cinéma, trois courts-métrages ont été projetés, choisis à l’issue d’un appel à candidatures ouvert en avril, sans barrière d’âge ni exigence de parcours. Parmi eux, Niya d’Imène Ayadi, et Toute la nuit de Faysal Hammoum, présenté en présence de l’actrice Djalila Kadi Haïti. Ce dernier film retrace l’errance nocturne d’une mère confrontée à l’assassinat de sa fille, dans une mise en scène poignante qui mêle absence, deuil et déni.
« Très ravie d’avoir pris part à cet événement. C’était très vivant, avec des questions percutantes. Il y avait un plurilinguisme formidable, les gens parlaient en français, en anglais… Il fallait que je m’adapte dans mes réponses. J’ai été très agréablement surprise par tout ça », confiait Djalila Kadi Haïti à l’issue d’un débat particulièrement animé, marqué par l’implication de nombreux jeunes spectateurs.
Les soirées se sont conclues en musique, avec des performances du collectif El Madrab, qui a insufflé une dimension festive et spontanée à l’ensemble. Loin d’un format figé, Fen & Visions s’est construit comme un espace mouvant, traversé par les échanges, l’écoute et les rencontres.
Au-delà de la richesse de la programmation, c’est l’énergie collective qui a marqué les esprits. Des liens forts se sont tissés entre artistes, mais aussi entre créateurs et leur public, dans un esprit d’émancipation culturelle revendiqué. Fen & Visions s’est ainsi affirmé comme une proposition artistique indépendante, artisanale et solidaire, façonnée avec soin et conviction.
Fortes de l’enthousiasme suscité, les fondatrices prévoient d’ouvrir l’événement à d’autres villes du pays : Annaba, Oran, voire des localités plus éloignées, là où les scènes de création restent peu accessibles.
« Nous espérons exposer ailleurs, projeter d'autres courts, peut-être même ouvrir à d’autres disciplines. Nous avons reçu des propositions en peinture, sculpture, arts hybrides… l’envie de créer est immense. »
À travers Fen & Visions, c’est une jeunesse algérienne qui choisit d’occuper l’espace, de créer ses propres récits, d’interroger ses héritages et de faire vivre ses imaginaires. Une jeunesse qui ne demande pas la permission, mais qui construit, dans la pluralité, un avenir artistique à son image.