Dans « Abdelkader, l’Arabe des lumières », Karima Berger brosse le portrait d’un homme hors du commun : L'Émir, figure emblématique de la résistance algérienne, à travers un récit à la fois intime et historique. L’auteure fouille dans son histoire familiale, interroge ses souvenirs, fait le parallèle quelquefois avec son oncle, Abdelkader Errahmani. Elle explore les lumières diffuses d’un personnage qui brille entre courage militaire, profondeur spirituelle et ouverture intellectuelle. Ce livre, publié aux éditions Albin Michel, offre une nouvelle lecture de cet homme de lumière dont les idéaux d’humanisme et de tolérance résonnent encore aujourd’hui.
Rencontrée à la Grande Mosquée de Paris où elle présentait son livre, dans cette même salle “Emir Abdelkader” où elle recevait un prix il y’a deux ans, Karima Berger résume en quelques mots tout l’apport de l'Émir à la civilisation universelle.

Quelles sont selon vous les lumières que diffuse l’Emir Abdelkader ?
On parle souvent des Lumières de l’Occident, celles du XVIIIe siècle européen, mais il existe aussi des lumières différentes, venues d’ailleurs, des lumières d’Orient. Il ne faut pas oublier que « Orient » signifie le Levant, là où se lève la lumière. Ces lumières portées par l’Émir Abdelkader sont liées à l'intériorité de sa foi. C’était un grand musulman, un mystique, un grand soufi, et ce qui comptait pour lui, c’était El-Iman (La foi) et El-Ihssan (La bienveillance). Sa quête existentielle portait surtout sur le rapprochement le plus possible de la perfection, de l’homme accompli et de l’homme total.
Que veut dire « homme total » dans ce contexte ?
Cela signifie qu’il voit à la fois l’intérieur et l’extérieur. Il disait : « Ne soyez pas borgne, ne regardez pas la réalité d’un seul œil ». Il y a la réalité extérieure et la réalité intérieure. Et il ne faut jamais oublier la réalité intérieure.
Comment expliquer ou raconter l’Émir Abdelkader à ceux qui ne le connaissent pas ?
Ce qu’il faut savoir de la personnalité de l’Émir, et je pense notamment aux jeunes Algériens, c’est qu'il était une figure prodigieuse du XIXe siècle. Originaire du Maghreb, confronté à la colonisation, à la première armée du monde, à la violence coloniale, à la trahison des traités signés. Il a été emprisonné en France pendant cinq ans, mais au-delà de ce côté victimaire qu’on aime bien en Algérie, il y a aussi son incroyable gouvernance. En tant qu’émir, il a interdit par exemple de mutiler ou de convertir les prisonniers, obligation de les soigner, et il signait des traités de paix dès que les conditions étaient réunies, car la paix lui permettait de se réparer, de négocier, d’aller chercher du soutien.
Pourquoi le considère-t-on comme le fondateur de l’État algérien ?
L’Emir Abdelkader a fédéré les tribus, principalement celles de l’ouest algérien qui ont accepté de mener le combat avec lui. Il a créé les bases d’un futur État : il a frappé monnaie, créé une armée avec uniformes et règlements, notamment sur le traitement des prisonniers, ce qui a inspiré plus tard la Convention internationale des droits des prisonniers à Genève. Il a même eu des ambassadeurs pour plaider sa cause à l’étranger.
Parlons de “La Smala d'Abdelkader “, quel est l’origine de ce mot ?
Étymologiquement, « smala » signifie « porter », cela désigne aussi les fournitures, les équipements. C’est un concept lié à la vie nomade même si là où il était à mascara il y avait des murs et des fondations. Quand Abdelkader a voulu fonder sa première capitale, “Tagdempt”, il a dû la détruire parce qu'elle allait être prise par les français, il a alors pensé à une capitale mobile : une smala. Cette smala regroupait jusqu’à 30 000, parfois 60 000 personnes. Chacun avait sa place : il y avait des mosquées, des écoles, des marchés, des forgerons, des artisans, tout pour faire vivre cette communauté en bonne intelligence. Et en deux heures, cette smala pouvait rassembler ses affaires et se déplacer dans un autre vallon parce que l’armée française menaçait de venir. On dit que c’est une organisation unique dans le monde ! La smala était aussi une véritable capitale avec un tribunal et un gouvernement mobile. C’est l’organisation qui permettait de rassembler toutes les fournitures et de se déplacer rapidement. Elle a malheureusement été découverte par hasard par le Duc d’Aumale alors que l’émir était ailleurs en combat. Ce qui est tragique, c’est que la smala fut prise sans défense, car les combattants étaient absents, il ne restait que des femmes, des enfants et des vieillards et quelques hommes.
