À l’occasion de la restauration du film culte Chronique des années de braise - unique palme d’or africaine et arabe de l’histoire - signée Mohamed Lakhdar-Hamina, son fils Malik, acteur dans le film devenu plus tard cinéaste, revient sur la symbolique puissante de cette résurrection cinématographique et les événements marquants qui l’ont accompagné. Entretien.
Le film Chronique des années de braise de votre père a été restauré en 4K récemment. Il sort ce mercredi 6 août, partout en France. Pouvez-vous nous expliquer dans quel contexte cette restauration a eu lieu ?
Cette restauration a été rendue possible grâce à la fondation dirigée par le réalisateur Martin Scorsese, la Film Foundation. Fondée avec George Lucas et Steven Spielberg, elle se consacre à la préservation du patrimoine cinématographique américain mais aussi mondial via le projet "World Cinema Project". Un chantier qui a touché notamment le cinéma asiatique, africain et latino-américain.
Scorsese avait vu le film lors de sa première à Cannes, il y a 50 ans, à l’époque où lui-même y présentait Alice n'habite plus ici. Il a été profondément marqué par Chronique des années de braise. C’est donc tout naturellement que sa fondation a choisi de le restaurer en 4K. Le travail a été confié à la Cinémathèque de Bologne, qui a fait un travail remarquable avec la participation de notre famille.

Qu’est-ce que cela signifie exactement, une restauration en 4K ?
C’est un processus de numérisation à très haute définition, qui permet une qualité d’image exceptionnelle, pixel par pixel. Pour simplifier, c’est comme comparer une vieille VHS à une vidéo en ultra HD d’aujourd’hui. C’est la norme actuelle pour les films, et ça redonne littéralement vie à l’œuvre. Aujourd’hui, quand on voit le film, on a vraiment l’impression qu’il a été tourné la semaine dernière. Il n’a pas pris une ride, ni sur le plan visuel, ni dans sa mise en scène.
Cette restauration marque-t-elle le début d’une nouvelle carrière pour le film ?
Tout à fait. Quand le film est sorti en 1975, après avoir reçu la Palme d'Or, il n’a été diffusé qu’à Paris, dans deux salles seulement. C’est peu, presque confidentiel. Aujourd’hui, le film ressort en 2025 dans quatre salles à Paris et 24 dans toute la France. C’est un progrès énorme. À l’époque, des œuvres majeures comme Hors-la-loi ou Indigènes n’auraient jamais eu autant d’espace de diffusion.
Et ce qui est fou, c’est que les spectateurs qui l’avaient vu à l’époque et qui le revoient aujourd’hui me disent qu’ils ont l’impression de découvrir un film nouveau. Le recul historique y est pour beaucoup, mais aussi la restauration. Le film est visuellement sublime, en Panavision et Cinémascope, avec des travellings grue extraordinaires et des plans d’une rare beauté. On y retrouve aussi toute la richesse de nos traditions, le rapport à la terre, les paysans, les gestes ancestraux…
Pour les jeunes générations ou ceux qui ne connaissent pas ce film, en quoi est-il encore contemporain ?
Il l’est profondément. Ce n’est pas un film sur la guerre d’Algérie au sens strict, c’est un film sur la révolte humaine. Ça pourrait être au fin fond de l’Amérique latine, en Asie, ou ailleurs.
Ce film pose une question universelle : pourquoi l’être humain se soulève ?
Et c’est ça qui touche aujourd’hui. Le film ne porte aucun jugement, il n’oppose pas les bons et les méchants. Il donne à voir une réalité, une époque, et laisse chacun libre de réfléchir. Et dans le contexte actuel des relations entre la France et l’Algérie, je pense que cette œuvre peut ouvrir une fenêtre de dialogue, sans crispation, autour de l’histoire et de la culture.
Le film a été projeté cette année à Cannes Classics, pour les 50 ans de sa Palme d’Or. Un moment symbolique, mais c’est aussi une date funeste pour vous et votre famille…
Oui… Ce fut à la fois un honneur et une tragédie. La veille de la projection à Cannes, mon père était mourant. J’étais auprès de lui, et je n’avais pas l’intention de quitter Alger. Mais mes frères m’ont dit : « On ne peut pas avoir mené ce combat pour restaurer le film, et ne pas être là pour le montrer. » Alors j’ai parlé à l’oreille de mon père et j’ai pris l’avion. Pendant la projection à Cannes, il y a cette scène où je joue un enfant orphelin, qui pleure dans les bras d’un fou mourant — rôle tenu par mon père. À la fin de la séance, je sors de la salle, et mon frère m’appelle : « Papa est décédé. » Voilà… C’est un scénario que même le cinéma n’aurait pas pu écrire.

La sortie en salle est-elle accompagnée d’événements particuliers ? Avant-premières, hommages…
Il n’y a pas d’énorme dispositif événementiel prévu, mais une avant-première à l’Institut du Monde Arabe est programmée le 22 septembre. C’est une façon de continuer à faire vivre le film, de l’ancrer dans le présent. Il y a déjà eu plusieurs projections dans des festivals prestigieux, donc c’est déjà beaucoup.
Pensez-vous que d’autres films de votre père connaîtront le même processus de restauration ?
C’est en cours, oui. Les films de mon père ont été réalisés à une époque où le cinéma maghrébin était marginalisé, peu distribué, peu vu. Pourtant, ils ont beaucoup à raconter : sur la condition des femmes, la paysannerie, la torture, l’histoire coloniale…
Nous travaillons à la numérisation de 5 ou 6 autres de ses films. Des collaborations sont en discussion avec la Belgique, le Canada, l’Algérie. Je pense sincèrement que son œuvre mérite d’être redécouverte
Que dire à ceux qui ne connaissent pas le film ?
Je dirais simplement : redécouvrez Chronique des années de braise. C’est plus qu’un film restauré. C’est un pan de notre mémoire, une œuvre universelle, une expérience sensorielle et humaine qui, cinquante ans plus tard, n’a rien perdu de sa force.
👉 Chronique des années de braise – Sortie en version restaurée 4K le 6 août 2025.
À Paris :
- MK2 Beaubourg
- MK2 Gambetta
- Le Champo
- Sept Parnassiens
- Le Louxor
- Le Vincennes
Ailleurs en France:
- Sceaux : Le Trianon
- Rouen : Omnia République
- Tours : Le Studio
- Hérouvil le-Saint-Clair : Café des Images
- Orléans : Les Carmes
- Le Mans : Les Cinéastes
- Cherbourg-en-Cotentin : CGR Odéon - Cherbourg
- Strasbourg : Star
- Nancy : Caméo Commanderie
- Mulhouse : Le Palace
- Bordeaux : Utopia Saint-Siméon
- Pessac : Jean Eustache
- Toulouse : American Cosmograph
- La Roche-sur-Yon : Concorde
- Marseille : Les Variétés
- Montpellier : Diagonal Capitole
- Nîmes : Le Sémaphore
- Carcassonne : CGR Colisée - Carcassonne
- Cavaillon : La Cigale